Le REN-LAC soutient le Conseil de discipline des magistrats contre les juges véreux

Le Réseau national de Lutte anti-corruption félicite les membres du Conseil de discipline de la magistrature pour les sanctions infligés à certains magistrats indélicats. Et souhaite que le Conseil supérieur de la Magistrature prenne les dispositions nécessaires pour examiner l’ensemble des dossiers dans lesquels des juges sont trempés.

Le secrétaire exécutif du REN-LAC, claude Wetta (au milieu), a dénoncé les obstacles procéduraux qui tendent à être systématiques dès lors que la justice a affaire à de hautes personnalités publiques.

Le 9 juin, le Conseil de discipline des magistrats a procédé à des sanctions contre 18 magistrats pour des faits de corruption et de manquements à l’éthique et à la déontologie de leur profession. D’après le communiqué du président du Conseil de discipline, les sanctions vont du simple blâme à la révocation, en passant par des abaissements d’échelons, des rétrogradations et une mise à la retraite d’office pour deux hauts magistrats : le Procureur général près la Cour de Cassation, Armand Ouédraogo, et la Présidente de ladite Cour, par ailleurs Présidente du Conseil supérieur de la Magistrature (CSM), Thérèse Traoré.

Ces décisions du Conseil de discipline font suite aux travaux de la Commission d’enquête mise en place en juillet 2016, à l’issue d’une session du CSM, après de multiples dénonciations de soupçons de corruption et de manquements à l’éthique et à la déontologie impliquant des magistrats. Cette commission avait pour mandat de « mener des investigations sur trois magistrats nommément cités, investiguer sur le cas de la Cour de cassation dans le dossier dit des mandats d’arrêt ainsi que sur les dossiers qui ont défrayé la presse, et enfin faire le point des dossiers pendants à l’Inspection technique du ministère de la Justice. »

Des acteurs judiciaires divisés

A l’issue des investigations, il ressortait, selon le rapport de la Commission d’enquête transmis à la présidente du CSM le 6 juillet 2017, que sur 51 dossiers, la commission avait conclu à l’existence de manquements à l’éthique et à la déontologie dans 29 dossiers impliquant principalement 37 magistrats, 3 avocats, 5 greffiers, 4 Officiers et Agents de Police judiciaire de la Gendarmerie nationale. « Pendant longtemps, nous n’avons eu de cesse de dénoncer la corruption au sein de la justice. On ne pouvait que saluer cette initiative qui devrait aider à assainir le milieu judiciaire. Par conséquent, nous avons soutenu les travaux de la Commission d’enquête à travers une contribution à l’élucidation de certains cas« , confie Claude Wetta, Secrétaire exécutif du Réseau national de Lutte anti-corruption -REN-LAC. Ce dernier note cependant que le processus s’est, dès le départ, heurté  à des réticences au sein de l’appareil judiciaire : « certains acteurs épinglés, dénonçant des ‘‘règlements de comptes syndicaux’, ont cru bon de remettre en cause la régularité de la mise en place de la Commission d’enquête elle-même et par voie de conséquence, les conclusions de ses travaux, en tentant de jeter un discrédit sur certains de ses membres. »

Le REN-LAC a aussi appelé les autres acteurs judiciaires à engager des procédures disciplinaires et pénales contre leurs membres épinglés par les travaux de la Commission d’enquête.

Au regard des divergences, Claude Wetta souligne que sa structure a pris l’initiative de rencontrer les trois syndicats de magistrats [le SBM -Syndicat burkinabè des Magistrats-, le SMB -Syndicat des Magistrats du Burkina- et le SAMAB -Syndicat autonome des Magistrats du Burkina], tous membres du REN-LAC, afin de mieux cerner la situation au sein de l’institution judiciaire.

Des obstacles procéduraux

Certains magistrats estiment que la mise en place de la Commission d’enquête a créé un environnement favorable pour « des règlements de compte internes, de nature à engendrer une fissure sans précédent au sein de la magistrature et partant à la discréditer davantage. » De fait, le SAMAB dénonce « certaines dérives de la Commission d’enquête et du Conseil de discipline tout au long de la procédure« , conteste les résultats des enquêtes et récuse les membres du Conseil de discipline jugés partiaux dans leurs démarchent. Pour ce syndicat, la participation de certains membres de la Commission d’enquête aux travaux du Conseil de discipline « viole certains principes fondamentaux du droit. »

La décision de la présidente du CSM ordonnant donc la récusation de ces derniers, la lettre du Chef de l’État à la présidente du CSM pour demander le respect des procédures, et la délibération du Conseil d’État ordonnant le sursis à exécution de la décision de la présidente du CSM mettant en place la Commission d’enquête, sont des éléments qui confortent le SAMAB dans sa position.

En revanche, ceux qui ne partagent pas l’opinion du SAMAB avancent aussi de leur côté des arguments pertinents : « Les décisions, aussi bien au niveau du Conseil supérieur de la Magistrature que du Conseil de discipline, ont été prises suite à des délibérations à la majorité absolue des membres. » Ils trouvent donc inacceptable que la présidente du CSM, elle-même mise en cause dans l’affaire dite de l’annulation des mandats d’arrêt contre Guillaume Soro et autres à la Cour de cassation, puisse prendre des décisions de récusation [c’est-à-dire choisir ses propres juges], alors que le CSM avait déjà statué sur la question. Ces magistrats s’indignent du fait que le juge Souleymane Coulibaly soit aux commandes d’une formation au niveau du Conseil d’État pour statuer sur des requêtes concernant le Conseil de discipline qu’il avait lui-même jusque-là présidé. Selon eux, les griefs énumérés contre la Commission d’enquête et le Conseil de discipline relèvent « de simples stratégies de blocage pour garantir l’impunité aux acteurs judiciaires quand bien même les fautes commises sont gravissimes et discréditent le troisième pouvoir. »

Engager des poursuites pénales    

Nonobstant les éventuelles contestations judiciaires que peuvent susciter les travaux de la Commission d’enquête et du Conseil de discipline, le REN-LAC soutient les acteurs judiciaires qui y ont contribué. « Nous pensons que les résultats auxquelles les membres de la Commission d’enquête sont parvenus sont une première étape. Nous invitons le CSM à prendre toutes les dispositions pour élucider tous les autres cas portés à la connaissance de la Commission d’enquête qui n’a pas pu les examiner du fait de sa saisine tardive. Il faudrait aussi élargir le spectre d’action pour prendre en compte la période d’avant 2010 [NDLR, les présentes investigations ont été circonscrites à la période 2010-2015], afin d’élucider le rôle trouble joué par certains acteurs dans l’histoire sociopolitique récente de notre pays« , se défend Sagado Nacanabo, Secrétaire exécutif adjoint du REN-LAC.

L’adjoint de Claude Wetta conclut en invitant les parquets compétents à engager des poursuites sur la base des faits constitutifs d’infractions pénales, dans la mesure où les travaux du Conseil de discipline du CSM relèvent du volet disciplinaire. Sagado Nacanabo appelle aussi le Chef de l’État, en tant que garant de l’indépendance de la magistrature, « à écouter les acteurs judiciaires et à les engager dans l’œuvre d’assainissement de l’institution judiciaire, pilier de l’État de droit. » « Le plus important pour le REN-LAC, résume-t-il, c’est qu’il n’y ait pas d’impunité pour des gens qui se sont adonnés à des actes de corruption, que ces gens soient ou non des magistrats.« 

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CIC

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