Au Burkina Faso, la justice reste le maillon faible de la lutte anti-corruption

Le REN-LAC invite le peuple burkinabè à la mobilisation contre l’impunité et pour l’assainissement de la justice qui rend ses décisions au nom du peuple.

Plus de trois ans après les états généraux de la justice et l’adoption d’un pacte national du renouveau de cette institution, le Réseau national de Lutte anti-corruption (REN-LAC) trouve scandaleux le sort réservé à certains dossiers de crimes économiques.

« L’espoir de la renaissance d’une justice indépendante et en phase avec les aspirations du peuple est en train de s’évanouir seulement quelques années après l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, et la résistance victorieuse du peuple au coup d’Etat défensif et contre-révolutionnaire du 16 septembre 2015″, s’insurge le Réseau national de Lutte anti-corruption (REN-LAC). A la veille de la rentrée judiciaire 2018-2019 prévue le 1er octobre et placée sous le thème « La responsabilité pour faute et la responsabilité sans faute de l’État », Claude Wetta et son équipe pointent du doigt le rôle du troisième pouvoir dans la promotion de l’impunité au Burkina Faso. Pourtant, en mars 2015, les états généraux de la justice avaient adopté un pacte national censé donner un nouveau souffle à cette institution restée longtemps sous l’influence du monde politique et économique.

Une justice à double vitesse

« Lorsqu’il s’agit de traquer et de punir les petites gens, la justice devient prompte et sans pitié. Mais lorsqu’elle doit agir contre les puissants hommes d’affaires, politiques et hauts gradés de l’armée, cette institution devient subitement lente voire paraplégique », déplore le Secrétaire exécutif du REN-LAC. Ce dernier fonde son réquisitoire sur trois dossiers qui ont longtemps défrayé la chronique au Burkina Faso : l’affaire Kanis, l’affaire Guiro et l’affaire du CSM.

Arrêté en avril 2017, Inoussa Kanazoé, patron de la société Kanis international, ne sera jamais déféré à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO). Précédemment en liberté sous caution, le puissant et richissime homme d’affaires local, poursuivi entre autres pour faux et usage de faux en écriture de commerce, fraude fiscale, blanchiment de capitaux, bénéficie d’un non-lieu depuis le 20 juillet 2018.

En dépit des révélations du bimensuel d’enquêtes Courrier Confidentiel sur un rapport d’expertise comptable mettant en cause l’homme d’affaires dans des faits de surfacturation s’élevant à plus de sept milliards de F CFA, et l’ouverture d’une enquête préliminaire qui a abouti aux éléments à charge retenus contre l’opérateur économique, la justice semble avoir choisi la voie de la transaction. D’après Claude Wetta, « le REN-LAC s’est vu débouté, le 16 juillet dernier, de sa requête de constitution de partie civile introduite le 29 septembre 2017, au motif que l’acceptation de cette constitution aurait pour conséquence d’empêcher le règlement transactionnel de l’affaire. »

La justice toujours interpellée sur le cas Guiro

Sept ans après cette rocambolesque histoire qui a débuté le 31 décembre 2011 par la découverte chez un proche de l’ancien directeur général des douanes, de cantines contenant près de deux milliards de F CFA et d’objets de valeur, aucune suite favorable n’a été donné au dossier. De report en report, la justice traine encore les pas pour juger cette affaire de crime économique. L’affaire a été renvoyée depuis août 2016 pour à nouveau être jugée, après la décision de la Cour de cassation d’annuler le jugement en appel rendu le 20 juin 2015. Le Procureur général près la Cour d’appel avait demandé le pourvoi en cassation, estimant que l’ex DG des douanes a bénéficié de circonstances atténuantes lors du procès en appel. Même si sa responsabilité pénale avait été engagée et qu’il avait été condamné à deux ans de prison avec sursis, assortie d’une amende de dix millions de F CFA avec une confiscation des objets de la corruption évalués à 900 millions de F CFA, Ousmane Guiro avait été reconnu non-coupable d’enrichissement illicite. Pour le REN-LAC, « c’est intolérable et inadmissible que ce dossier ne soit pas encore élucidé jusque-là

Les juges intouchables

En plus d’être aux ordres et au service des puissants, la justice burkinabè s’est davantage discréditée avec l’annulation par le Conseil d’État le 10 juillet 2018 de la décision de la présidente du Conseil supérieur de la Magistrature de créer une Commission d’enquêtes sur les allégations de corruption et de manquements à l’éthique et à la déontologie portées principalement contre des magistrats. De fait, la décision du Conseil d’État vient annuler les sanctions infligées aux 18 magistrats mis en cause, après que ceux-ci ont tenté à plusieurs reprises de discréditer les travaux de la Commission d’enquête et de bloquer le fonctionnement du Conseil de discipline. Toutefois, prévient Claude Wetta, « cette affaire ne doit pas en rester là. C’est un défi pour les acteurs judiciaires d’explorer par sursaut d’orgueil toutes les pistes afin d’élucider l’ensemble des cas examinés. »

Selon le Secrétaire exécutif du REN-LAC, les acteurs judiciaires doivent saisir l’occasion de cette rentrée pour une autocritique profonde en vue d’actions vigoureuses pour l’assainissement de leur institution. De là dépend en grande partie l’efficacité de la lutte contre la corruption et la mal gouvernance pour ne pas faire le lit de l’impunité des crimes.

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CIC

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