Corruption dans le secteur de la santé : le silence incompréhensible des autorités*

Lors de la 13e édition des Journées nationales du Refus de la Corruption (JNRC), tenue en décembre 2018, le Réseau national de Lutte anti-corruption (REN-LAC) s’est penché sur la corruption dans le secteur de la santé. A l’occasion, plusieurs activités organisées ont permis de porter à la connaissance des premiers responsables du ministère de la Santé des cas manifestes de corruption dans ce secteur.

la corruption compromet l’accès effectif des populations, surtout celles pauvres, à des soins de santé de qualité

L’étude du REN-LAC, publiée le 4 décembre 2018, sur les présomptions de corruption et pratiques assimilées dans le système et les services de santé, a révélé l’existence d’une variété de mauvaises pratiques dans les différents établissements publics.

« Les manquements constatés vont de la vente directe de produits pharmaceutiques par les agents de santé, aux détournements de médicaments subventionnés au profit des pharmacies privées, à la vente de ces médicaments par les prestataires de soins dans les services de santé, en passant par les surfacturations des médicaments, l’utilisation des réactifs et du matériel du service public à des fins privées, etc. », souligne l’étude.

A côté des cas flagrants, certains agents ont développé des pratiques sournoises et déguisées telles que l’exagération des prestations dans le cadre de la gratuité des soins aux fins de détourner les médicaments, la vente des produits prohibés retirés du circuit médical et les interventions chirurgicales clandestines.

Cette étude  n’a fait que confirmer les présomptions de corruption déjà relevées et documentées dans le rapport annuel 2017 sur l’état de la corruption au Burkina Faso, en ce qui concerne le secteur de la santé. S’il a été classé au 13e rang des services perçus comme les plus corrompus, la plupart des citoyens interrogés n’ont, cependant, pas manqué d’y dénoncer les actes systématiques de rackets, les détournements de matériels et de médicaments couverts par la gratuité ainsi que les détournements de malades vers les centres de santé privés. Au total, le rapport 2017 sur l’état de la corruption a mis en exergue  460 actes entachés de corruption sur 4164 contacts avec les  services de santé dans les 14 villes d’enquêtes.

Les dénonciations se multiplient

Après la publication, en décembre 2018, de l’étude sur la corruption dans le secteur de la santé, les citoyens ont porté à la connaissance du REN-LAC de nombreux cas de mauvaises pratiques dans les services de santé. Le Réseau a, à son tour, saisi, en 2019, le ministère de la Santé sur l’existence d’un système de rackets, de surfacturation et de spoliation de patients dans les blocs opératoires des Centres médicaux avec antenne chirurgicale (CMA) de Bogandé et de Sebba. Selon les témoignages recueillis, les patients qui tentent d’y résister font l’objet de chantage éhonté de la part d’agents indélicats. Plusieurs témoins ont confié avoir remis personnellement des sommes d’argent allant de 50 000 F CFA à 80 000 F CFA à des agents de santé pour les prises en charge.

A Bogandé, le parent d’un malade, qui devait subir une intervention au CMA pour hydrocèle le 17 décembre 2018, a, par exemple, été « contraint de remettre en main propre la somme de 75 000 F CFA » à l’attaché de santé en anesthésie réanimation pour l’opération. Cette somme lui a été exigée.

A Sebba, un patient de la commune de Titabé s’est vu aussi exiger, le 16 janvier 2019, par des agents traitants la somme de 60 000 F CFA pour sa prise en charge. En dehors de tout frais de médicaments. Des situations similaires se sont produites au bloc opératoire du même CMA au cours de l’année 2017. Certains cas portés à la connaissance de la Gendarmerie nationale et du Procureur du Faso ont permis à quelques victimes de rentrer en possession des sommes indûment perçues.

Dans la ville de Léo, des informations font actuellement cas de patients qui payeraient automatiquement la somme de 50 000 F CFA au bloc opératoire pour la prise en charge de la hernie non étranglée (hernie simple), alors que le coût du kit est de 23 420 francs. C’est le lieu de rappeler, encore une fois, qu’un agent de santé ne représente pas une caisse du CMA. Par conséquent, il n’est nullement habilité à percevoir des sommes d’argents chez des malades. Qui plus est, d’en exiger.

Le REN-LAC entend jouer sa partition

Comme réponse à ces mauvaises pratiques, le REN-LAC a entrepris, dans le cadre de son projet « Accroître la participation citoyenne à la lutte contre la corruption et à la redevabilité publique à travers une plateforme d’information anti-corruption », la création de cCmité de Suivi-citoyen des Prestations de service (CSCPS)  dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Les CSCPS sont des structures de veille et de contrôle citoyens constituées de trois composantes (Syndicats, Société civile et État). Leur rôle est de contribuer à lutter contre les mauvaises pratiques et prestations dans les secteurs de la santé et de l’éducation  afin de valoriser et de promouvoir les bonnes pratiques.

Cela fait plus de trois mois que l’étude, sur les présomptions de corruption et pratiques assimilées dans le système et les services de santé au Burkina Faso, a été rendue publique. Depuis lors, les premiers responsables du département de la Santé n’ont pas jugé nécessaire d’approcher le Réseau pour en savoir davantage, malgré les multiples sollicitations du Secrétariat exécutif.

Dès la réception des conclusions de l’étude, avant même sa publication, le Secrétariat exécutif a introduit une demande d’audience auprès du ministre de la Santé pour lui présenter les résultats de l’enquête et échanger avec lui autour des différentes recommandations afin d’améliorer la qualité des prestations pour un meilleur fonctionnement des centres de santé au profit des populations. C’était l’occasion de lui transmettre officiellement une copie du rapport. Devant l’échec, le Secrétariat exécutif s’est résolu à le lui transmettre par courrier. Mais là encore, aucune suite n’y est donnée.

En dépit de ce mutisme du ministre, le Réseau a noté, avec satisfaction, la participation de l’Inspection technique des services du ministère lors des débats organisés sur la thématique de la corruption dans le secteur de la santé pendant la 13e édition des Journées nationales du Refus de la Corruption (JNRC).

Après les JNRC, une nouvelle demande d’audience a été introduite toujours dans l’optique d’échanger avec les premiers responsables du ministère sur les mauvaises pratiques dans le secteur et pour la mise en place de Comités de Suivi-citoyen des Prestations de Services (CSCPS). Cependant, ces démarches n’ont guère connu plus de succès.

Le ministère doit agir en conséquence

Outre ces différentes pratiques dénoncées par le REN-LAC et dont l’autorité a été tenue informée, des investigations d’autres structures telles que la presse, le Réseau d’Accès aux Médicaments essentiels (RAME), l’Autorité supérieure du Contrôle d’État et de Lutte contre la Corruption (ASCE-LC) ont aussi permis de mettre en lumière des situations de malversations financières et de corruption manifeste dans certains centres de santé.

Les enquêtes de l’ASCE-LC, menées en 2016, au district sanitaire de Kossodo ont identifié des circuits parallèles d’encaissement, des prestations non facturées directement encaissées par le traitant ou encore la non comptabilisation de recettes encaissées. Cette structure de contrôle d’État a estimé à plus de 13 millions de F CFA les recettes collectées qui n’ont pas été reversées, et à plus de 21 millions de F CFA les commandes fictives. D’autres malversations comme les dépenses effectuées directement sur la régie des recettes ont été évaluées à plus de quatre millions.

A la lumière de ces faits, il est évident que la corruption compromet aujourd’hui, plus que tout, l’accès des populations vulnérables aux soins de santé. Elle sape les efforts fournis par l’État et le contribuable dans le cadre de la gratuité de soins. Il est inadmissible pour les autorités politiques en charge de la santé de s’enfermer dans un mutisme en ne prenant pas ce problème à bras le corps pour la mise en place de garde-fous contre le développement de ces pratiques mafieuses. Le REN-LAC s’interroge, à juste titre, sur l’attitude du ministère par rapport à ses multiples sollicitations et le sort réservé aux différentes saisines effectuées. Il ose croire que les autorités ont la pleine mesure de la situation et vont agir en conséquence pour mettre fin à ces pratiques malsaines qui sévissent dans les établissements publics de santé.

 

*Article publié dans le bimensuel Mutations N°169 du 15 au 31 mars 2019

 

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CIC

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