Sagado Nacanabo : « La gouvernance vertueuse est trop lourde à porter par le régime Kaboré »

L’intégralité de la déclaration de presse du Secrétaire exécutif du REN-LAC, Sagado Nacanabo.

Le présidium de la conférence de presse du REN-LAC. De gauche à droite, François Moyenga, Secrétaire exécutif adjoint ; Sagado Nacanabo, Secrétaire exécutif et Bruno Kéré, Chargé du plaidoyer et du lobbying.

Mesdames et messieurs les journalistes,

Au nom du Secrétariat exécutif, je voudrais, avant tout propos, vous souhaiter la bienvenue à cette conférence de presse que nous organisons ce jour 27 mai 2019 dans le but de donner notre lecture sur l’état actuel de la gouvernance. Qui, devons-nous le marteler haut et fort, ne nous satisfait point.

En effet, il ne se passe plus un jour sans qu’un scandale n’éclabousse au plus haut sommet de l’Etat. Les affaires dites de charbon fin à la mine d’or d’Essakane, de recrutements frauduleux à la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS) et la crise observée au sein de la Justice en sont des illustrations. Elles achèvent de nous convaincre que la promesse de « tolérance zéro » et de « gouvernance vertueuse », chantée au lendemain de l’élection du Président Roch Marc Christian Kaboré, est trop lourde à porter pour ce dernier et ses différents gouvernements.

Mesdames et messieurs les journalistes,

Le 31 décembre 2018, l’opinion publique a été informée de la saisie et de la mise sous scellée judiciaire à Bobo-Dioulasso d’une trentaine de conteneurs de charbon fin contenant de l’or, de l’argent et d’autres minerais sur le point d’être exportés vers le Canada. L’opération a été menée par la Brigade nationale anti-fraude de l’or (BNAF) au cours du weekend du 29 au 30 décembre 2018. Les informations rapportées par les journaux faisaient état d’une tentative d’exportation frauduleuse d’or, maquillée en exportation de déchets de charbon. Dans un contexte de raréfaction des ressources, ces révélations auraient dû amener l’Exécutif burkinabè, s’il était de bonne foi, à diligenter une enquête pour confirmer ou infirmer ces faits qui mettent en jeu plusieurs milliards de francs CFA. En lieu et place, le ministère des Mines et des Carrières s’est borné non seulement à réfuter les allégations, mais aussi à défendre la société IAMGOLD Essakane SA. Sur les ondes des médias et dans un communiqué diffusé le 2 janvier 2019, les responsables du ministère font savoir à l’opinion nationale que la société IAMGOLD Essakane SA disposait de toutes les autorisations nécessaires pour l’exportation du charbon fin. Par conséquent, il ne s’agissait nullement, d’après eux, de fraude, encore moins de complicité entre compagnies minières et l’État ou de pillage au sommet de l’État.

Pourtant, contrairement aux allégations du ministère des Mines et des Carrières, il y a bel et bien eu tentative d’exportation frauduleuse d’or de la part d’Essakane SA. De sources sûres et concordantes :

  • les conteneurs saisis contenaient des sacs avec du minerai ;
  • les teneurs déclarées ont été sous-estimées, elles sont anormalement élevées par rapport à celles rencontrées dans le charbon fin des autres mines et par rapport au minerai ;
  • les quantités de matières précieuses ont été sous-évaluées par une combinaison de plusieurs facteurs (sous-estimation de la masse sèche des sacs par minoration du poids humide des sacs, et par majoration du taux d’humidité) ; la pesée des sacs a montré que les masses humides de sacs ont été bien souvent sous-estimées, induisant une forte minoration des quantités de matière précieuses. Le différentiel de poids sec déclaré est ainsi de 67,4 tonnes. En prenant en compte les teneurs déclarées par IAMGOLD Essakane SA pour l’or et l’argent, on aboutit à 59,048 kilogrammes d’or et 24,11 kilogrammes d’argent non déclarés.

Mesdames et messieurs,

Une expertise douanière, portant sur les exportations litigieuses de charbon fin et autres substances minérales effectuées par la société IAMGOLD Essakane SA au cours des années 2015, 2016 et 2018, confirme aussi les soupçons de fraude dans cette opération d’exportation de charbon fin avec la caution de l’Etat. On peut retenir entre autres les infractions suivantes :

  • le détournement de marchandises soumises à autorisation spéciale de leur destination privilégiée ;
  • l’exportation sans déclaration ;
  • la fraude à la commercialisation de l’or ;
  • l’infraction à la règlementation des changes.

C’est en pareilles circonstances que le REN-LAC aurait aimé sentir l’autorité de l’État. Hélas !

Le ministère des Mines et des Carrières s’est permis d’accorder à IAMGOLD Essakane SA l’autorisation, en 2015, d’exporter au Canada 447,288 tonnes de charbon fin qui contiendraient 514,439 kilogrammes des métaux précieux (or et argent) en vue d’un traitement métallurgique, en violation des textes en vigueur. Il a répété cette même forfaiture en 2016 et 2018.

Au regard des éléments sus évoqués, le REN-LAC, tout en félicitant le parquet et la presse, condamne fermement le pillage des ressources minières rendu possible par la complicité des dirigeants politiques. Nous exigeons que toute la lumière soit faite sur cette affaire afin que les biens en cause soient tout simplement confisqués au profit du peuple. Tous ceux qui se sont compromis dans cette sombre affaire doivent rendre compte.

Autrement, comment croire à une réelle volonté du gouvernement d’assainir la gestion de la chose publique ?

Mesdames et messieurs les journalistes,

C’est ce même « mouta mouta » [NDLR, gestion mafieuse] qui avait caractérisé les recrutements frauduleux à la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS) dénoncés, en juillet 2018, par le comité CGT-B de ladite structure.  La direction de la CNSS avait tenté un passage en force en confirmant les résultats, en dépit des alertes de fraude et de népotisme.

Aujourd’hui, les fais donnent bien raison au syndicat.  Sur saisine du Comité CGT-B, l’Autorité supérieure du Contrôle d’État et de Lutte contre la Corruption (ASCE-LC) et le Parquet, à travers la gendarmerie nationale, ont mené des investigations. Ces investigations confirment qu’il y a eu fraude dans ce recrutement. Et deux personnes méditent actuellement sur leur sort à la Maison d’Arrêt et de Correction de Ouagadougou (MACO), en attendant leur jugement. Malheureusement, à ce niveau le dossier est toujours en souffrance au Tribunal correctionnel de Ouagadougou. En effet, l’appareil judiciaire est en panne depuis octobre 2018. C’est le lieu pour nous d’inviter le gouvernement à prêter une oreille attentive aux préoccupations des acteurs judiciaires en lutte afin de lever les dysfonctionnements au risque d’encourager la justice privée.

Par ailleurs, nous notons que le Premier ministre, lors de son discours sur l’état de la nation, a préféré se satisfaire du fonctionnement des pôles économiques et financiers (ECOFI), en déclarant devant la représentation nationale : « La spécialisation de la justice est en marche. En effet, après leur mise en place en 2017, les pôles judiciaires spécialisés de lutte contre les infractions économiques et financières ont jugé 12 affaires et enregistré 125 dossiers en 2018. »

Le REN-LAC tient à préciser à l’opinion que les pôles ECOFI ne fonctionnement pas tel que veut le faire croire le gouvernement Dabiré. A notre connaissance, aucun dossier n’a été jugé en première instance jusqu’à présent aussi bien à Ouagadougou qu’à Bobo-Dioulasso. Les dossiers dont parle le Premier ministre ont été jugés en appel à Bobo-Dioulasso en cette année 2019 et pire, il s’agissait d’affaires connues de la justice bien avant la mise en place des pôles judiciaires spécialisés. Il faut donc davantage d’efforts de la part du gouvernement en dotant ces pôles de moyens humains, matériels et financiers conséquents afin qu’ils soient opérationnels.

Le REN-LAC dénonce également l’attitude du gouvernement, notamment le ministre de la Justice dont le silence dans la saisine du Conseil de discipline du CSM pour la relance du traitement des cas d’atteinte à la déontologie dont se seraient rendus coupables des magistrats et acteurs judiciaires. Cette attitude du ministre n’est ni plus, ni moins qu’une prime à l’impunité à l’égard de certains hauts responsables de la Magistrature qui se voient ainsi bénéficier de retraite sans avoir eu l’occasion de répondre des faits à eux reprochés.

Mesdames et messieurs,

Fidèle à ses missions et objectifs, le REN-LAC interpelle encore une fois les plus hautes autorités de ce pays d’œuvrer de manière diligente et vigoureuse pour que les dossiers ci-dessus évoqués puissent connaitre des dénouements heureux au bénéfice des populations. Car sans gouvernance vertueuse, il n’y a point de démocratie. En ce moment, il nous parait évident que, de par son attitude vis-à-vis des préoccupations des acteurs judiciaires en lutte, et d’une manière générale de par sa gouvernance très peu vertueuse, le pouvoir est en train de faire de la corruption, du pillage des ressources nationales et de l’impunité sa marque de fabrique.

Le REN-LAC appelle donc le peuple burkinabè à maintenir allumée la flamme de la veille citoyenne en renforçant davantage les rangs des organisations de lutte pour combattre ces maux qui n’augurent point de lendemain meilleur pour le Burkina Faso.

Je vous remercie

Le Secrétariat exécutif

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CIC

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