JNRC 2022 : le REN-LAC passe à la loupe les secteurs de la défense et de la sécurité

Le Réseau national de Lutte anti-corruption (REN-LAC) commémore cette année la 17ème édition de ses traditionnelles Journées nationales du Refus de la Corruption (JNRC) sur le thème « Corruption et terrorisme au Burkina Faso : quelles perspectives ? ». Un choix qui se justifie selon Sagado Nacanabo, premier responsable de la structure, par le fait que le pays est confronté depuis 2015 à une guerre meurtrière imposée par des groupes armés terroristes, dans un contexte de corruption galopante qui touche également les Forces de Défense et de Sécurité (FDS).

Selon Sagado Nacanabo (centre), les changements observés à la tête de l’État avec les putschs militaires intervenus les 24 janvier et 30 septembre 2022 par le Mouvement patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR) n’ont guère amélioré la situation de crise que traverse le pays. Et en ce qui concerne la gouvernance, le peuple burkinabè attend toujours d’être édifié positivement par des actes concrets des dirigeants actuels.

Depuis 2015, le Burkina Faso est plongé dans une guerre meurtrière liée au développement du terrorisme-djihadiste dans plusieurs régions du pays. En l’espace de sept ans, le conflit, qui s’est exacerbé, a causé plus de dix-mille (10 000) victimes civiles et militaires.

Pour faire face à la situation, l’État a décidé d’allouer des ressources plus conséquentes aux secteurs de la défense et de la sécurité. Entre 2016 et 2021, près de 200 milliards francs CFA ont ainsi été mis à la disposition du seul ministère de la Défense dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

D’après le Centre d’Information, de Formation et d’Étude sur le Budget (CIFOEB), les budgets des deux secteurs de la défense et de la sécurité s’élèvent en 2022 à plus de 542 milliards francs CFA soit 18,16% du budget national contre 12,7% en 2015. Ces allocations prennent en compte les dépenses de personnel, les dépenses d’acquisition de biens et de services, les dépenses de transferts courants et les investissements exécutés par l’État.

Des interrogations sur l’efficacité des dépenses dans les deux secteurs

« En dépit de cette forte augmentation des budgets de la défense et de la sécurité, les citoyens observent paradoxalement une intensification des activités terroristes sur le sol burkinabè, au point qu’à l’heure où nous parlons plus de la moitié du territoire national échappe au total contrôle de l’État et une forte pression est exercée sur plusieurs grandes villes du pays », souligne Sagado Nacanabo.

Pour le Secrétaire exécutif du REN-LAC, la demande en équipements et matériels de combat demeure également une préoccupation cruciale sur le terrain. Ce qui pose la problématique de l’efficacité et de l’efficience des dépenses dans les deux secteurs, surtout dans un contexte de persistance de la corruption qui n’épargne aucun secteur d’activité y compris les Forces de Défense et de Sécurité (FDS).

La Police nationale, la Gendarmerie nationale et la Douane sont régulièrement épinglées parmi les services les plus touchés par le phénomène dans les rapports annuels du REN-LAC sur l’état de la corruption au Burkina Faso.

Par ailleurs, rien que sur la période 2020-2021, la structure non gouvernementale a directement enregistré un total de 86 plaintes mettant en cause les forces de sécurité intérieure. « Une telle situation compromet l’efficacité des Forces de Défense et de Sécurité engagées dans la lutte contre le terrorisme et entrave également leur bonne collaboration avec les populations », avance Sagado Nacanabo. Selon lui, cette méfiance des populations freine le rohum (renseignement d’origine humaine), alors que de nombreux stratèges militaires s’accordent pour dire que ce type de renseignement est un élément indispensable dans une situation de guerre non conventionnelle comme celle que traverse actuellement le Burkina Faso.

Une nécessaire transparence dans la gestion des affaires de l’Armée

Au cours de l’année 2021, les secteurs de la défense et de la sécurité ont été sous les feux des projecteurs avec deux affaires emblématiques qui posent la nécessité de la transparence et de la redevabilité dans les affaires de l’Armée.

La première a trait à un marché d’acquisition de 05 hélicoptères civils intégrant un dispositif militaire au profit de l’Armée burkinabè, afin de mener des opérations aériennes de lutte anti-terroriste. D’après le Secrétaire exécutif du REN-LAC, ce marché, d’un montant de plus de 30 milliards francs CFA, n’est que la partie visible de l’iceberg en ce qui concerne les différentes acquisitions du matériel militaire.

Il en veut pour preuve les propos tenus par le Président Roch Marc Christian Kaboré lors de sa grande interview accordée à trois médias nationaux, le 11 décembre 2021. « Je ne suis pas militaire, mais je suppose que ceux qui commandent le matériel vérifient que ce matériel est bon. Sinon ça n’a pas d’intérêt », avait botté en touche l’ancien Chef de l’État balayé par un putsch militaire un mois plus tard le 24 janvier 2022.

« De tels propos montrent toute la légèreté avec laquelle ces questions semblent être traitées par les plus hauts responsables du pays à un moment où la survie de la nation est menacée », fustige Sagado Nacanabo.

La seconde affaire est relative au drame d’Inata dans lequel ont péri officiellement 57 personnes dont 53 soldats appartenant à un détachement de la gendarmerie déployé sur place pour la sécurisation d’un site minier.

Les circonstances qui entourent ce drame, notamment le manque de vivres pour nourrir les soldats, restent encore à élucider. Une occasion saisie par le premier responsable du REN-LAC pour demander aux autorités à la tête du pays la publication du rapport de l’inspection générale des forces armées nationales sur ce drame, qui demeure « une exigence citoyenne ».

Une corrélation positive entre corruption et terrorisme

L’objectif visé par le REN-LAC à travers la commémoration de cette 17ème édition des Journées nationales du Refus de la Corruption (JNRC) est d’inscrire au cœur du débat public le lien de causalité entre la corruption et le terrorisme au Burkina Faso, la transparence et la redevabilité dans les secteurs de la défense et de la sécurité, ainsi que les manifestations et les conséquences de cette corruption dans lesdits secteurs.

« Il s’agira aussi et surtout d’y questionner les mécanismes de contrôle des dépenses et leur efficience, afin de dégager une stratégie efficace de lutte contre la corruption dans les deux secteurs », ajoute Sagado Nacanabo pour qui la corruption a un impact négatif aussi bien sur les secteurs de la défense et de la sécurité que sur la stabilité même de l’État, en alimentant les conflits.

« C’est une constante que les institutions publiques fragilisées par une corruption profondément enracinée sont non seulement moins efficaces dans leur rôle régalien, mais aussi créent des conditions favorables pour l’expansion des groupes armés terroristes », argumente-t-il. De fait, des études quantitatives ont mis en évidence une corrélation positive entre corruption et instabilité institutionnelle. Par exemple, la plupart des États les moins bien classés dans l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) de Transparency international ces dernières années se trouvent être des pays en proie à l’instabilité, à l’insécurité et au terrorisme.

Les organisations terroristes et autres criminels y profitent généralement de la corruption dans des institutions telles que l’Armée, la Police et la Justice qui sont des piliers de la sureté de l’État et de l’État de droit pour prospérer et mener leurs activités criminelles : contrebandes de carburant, de drogue, de cigarette voire de trafics humains…

Compte-tenu de cette situation, le Secrétaire exécutif du REN-LAC s’est voulu catégorique. « Sans une lutte résolue et sincère contre la corruption et la mal gouvernance, la lutte contre le terrorisme, leitmotiv des différents pouvoirs successifs depuis le régime déchu du Président Kaboré, est vouée à l’échec », a-t-il indiqué. Avant de conclure : « Les autorités en charge du pays doivent être conscientes que la confiance et l’engagement citoyens, qu’elles sollicitent à longueur de journée dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, restent subordonnées à une bonne gouvernance politique et administrative, empreinte d’exemplarité, au sommet de l’État. »

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Réfléchir sur les actions à mener pour endiguer la corruption et le terrorisme

Parmi les activités au programme de cette 17ème édition des JNRC, se tiendra un panel sur le thème général : « Corruption et terrorisme au Burkina Faso : quelles perspectives ? ». Prévu le vendredi 09 décembre 2022 à partir de 14h00 au Conseil burkinabè des Chargeurs (CBC), il sera animé par d’éminents experts tels que Abdoul Karim Saïdou, agrégé de science politique à l’Université Thomas Sankara (Ouaga II) ; Paul Sondo, Contrôleur général de Police à la retraite et ancien Directeur général de la Police nationale ; Atiana Serge Oulon, journaliste d’investigation et Directeur de Publication du bimensuel L’Événement ; ainsi que des représentants du ministère de la Défense et des Anciens Combattants, du CIFOEB et de l’ASCE-LC, sous la modération du Pr. Mahamadé Savadogo, professeur titulaire de philosophie morale et politique à l’Université Joseph Ki-Zerbo (Ouaga I).

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CIC

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