Lutte contre la corruption : renforcer impérativement la veille citoyenne
L’ONG allemande, Transparency international, a publié, le 28 janvier 2021, son rapport 2020 sur l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) dans le monde. Sans surprise, le Burkina Faso se retrouve au 86e rang mondial sur les 180 pays classés, avec 40 points obtenus sur 100.
Pour la troisième année consécutive, le Burkina Faso connaît un recul dans le classement de Transparency international sur l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) dans le monde. Bien que le pays ait obtenu la même note de 40 points sur 100 que l’année dernière, il perd, néanmoins, une place dans le classement général, en passant du 85e rang mondial en 2019 au 86e rang en 2020.
Au niveau de l’espace Cédéao, le Burkina Faso est classé cinquième, derrière le Cap vert (58 points), le Sénégal (45 points), le Ghana (43 points) et le Bénin (41 points).
L’objectif visé par le Plan national de Développement économique et social (PNDES) était de 60 points en 2020, mais à l’heure du bilan, force est de constater l’échec de cette politique.
Un aveu d’impuissance au sommet
L’IPC classe les pays en fonction du niveau de corruption dans le secteur public, tel qu’il est perçu par les experts et les hommes d’affaires. Il utilise une échelle de zéro à cent où zéro correspond à un système très corrompu et cent à un système non corrompu.
Les résultats du Burkina Faso dans le rapport IPC 2020 corroborent ceux du dernier sondage du REN-LAC qui indiquent une hausse continue du phénomène, depuis 2017. De fait, plus des trois quart (75,7%) des enquêtés estiment que la corruption est fréquente voire très fréquente dans le pays.
Arrivés au pouvoir en 2015 à la suite de l’héroïque insurrection populaire d’octobre 2014 et de la résistance populaire victorieuse au coup d’État contre-révolutionnaire de septembre 2015, Roch Marc Christian Kaboré et son parti, le MPP, n’ont jamais pris la mesure des fortes aspirations populaires en matière de lutte contre la corruption et d’assainissement de la gouvernance.
Après avoir promis une politique de « tolérance zéro contre la corruption » au lendemain de son élection en « un coup K.O », le Président du Faso a surtout brillé, durant son premier quinquennat, par son inaction devant les nombreux scandales qui ont émaillé la gestion des affaires publiques. « Le Président donne des instructions et les gens n’appliquent pas. Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? », s’était-il déresponsabilisé lors d’une rencontre avec le REN-LAC tenue en mars 2018, comme pour traduire son impuissance face à la montée de la corruption dans le pays.
Le régime Kaboré bénéficiait, pourtant, d’un contexte propice pour poser les bases d’une gouvernance saine et vertueuse, dans la mesure où la transition a doté le pays d’un cadre juridique et institutionnel favorable à la répression de la corruption et des infractions assimilées.
Entre 2015 et 2017, les différents indicateurs de mesure de la corruption constataient une tendance à la baisse du phénomène. D’après le rapport IPC, le Burkina Faso avait gagné quatre points pendant cette période, passant de 38 points sur 100 en 2015 à 42 en 2016 et 2017. Malheureusement, ce début de résultat fort encourageant a été sapé par la persistance de l’impunité des crimes économiques. De sorte que depuis 2017, le pays a amorcé un mauvais virage en matière de pratiques de corruption, particulièrement dans le secteur public.
L’impunité comme mode de gouvernance
À l’image du régime déchu de Blaise Compaoré, l’impunité reste l’une des tares de la gouvernance Kaboré. Au cours des trois dernières années de son premier mandat, il s’est rarement écoulé une semaine sans que la presse ne révèle des cas de détournements de deniers publics, de fraudes et autres malversations économiques et financières, y compris dans les hautes sphères de l’État : affaire des magistrats épinglés par la commission d’enquête du Conseil supérieur de la Magistrature (CSM), scandale du charbon fin, scandale des faux ordres de missions au Groupement de Sécurité et de Protection républicaine (GSPR), unité chargée de la protection du Chef de l’État, dossier Jean-Claude Bouda, les recrutements frauduleux à la fonction publique et dans certaines sociétés d’État comme la CNSS…la liste est longue.
Au surplus, tous les anciens maires et ministres de Blaise Compaoré interpellés sous la Transition politique en 2015 pour faute de gestion ont été subitement relâchés par le régime actuel, sans qu’aucun jugement ne soit prononcé.
En dépit des multiples interpellations des acteurs de la lutte anti-corruption, les lignes ne bougent aucunement dans le sens positif. Bien au contraire, les dénonciateurs sont constamment inquiétés voire réprimés, tandis que les criminels économiques bénéficient de l’inertie des pouvoirs publics. Naturellement dans ces conditions, la corruption ne fait que prendre des proportions inquiétantes à telle enseigne que même les secteurs sociaux comme la santé et l’éducation sont, aujourd’hui, suffisamment gangrenés.
Contrôler l’action publique
L’analyse de la situation montre un manque de volonté de la part du Gouvernement et de certains acteurs judiciaires dans la lutte contre la corruption et la mal gouvernance. En témoigne la récente décision scandaleuse de la Cour d’Appel de Bobo-Dioulasso ordonnant la mise en liberté, pour « infraction non constituée », du magistrat Narcisse Sawadogo impliqué dans une affaire de corruption.
C’est dans cette perspective qu’il faudrait inscrire aussi le non-respect du décret N°2008-891/PRES/PM/MEF du 31 décembre 2008, portant rémunération du Premier ministre, des Présidents d’institutions et des membres du Gouvernement, par le Président du Faso. Ce dernier n’a pas hésité à faire signer à certains de ses ministres des contrats avec des émoluments largement supérieurs à ceux fixés par le décret.
Les nouveaux membres du Gouvernement sont donc interpellés sur le strict respect des dispositions légales en ce qui concerne leurs rémunérations. Mieux, le nouvel Exécutif doit s’engager résolument dans la lutte contre la corruption, gage de l’efficacité de toutes les autres politiques sectorielles telles que par exemple celles relatives à l’insécurité et à la lutte contre la pandémie de la Covid-19 en cours.
Pour éviter que le Burkina Faso ne tombe définitivement dans l’abîme de la corruption, la société civile, la presse et les citoyens ordinaires n’ont d’autre choix que de constituer de véritables remparts, en renforçant davantage leurs actions de veille citoyenne. Surtout dans un contexte de large rassemblement de la classe politique institutionnelle autour de la majorité présidentielle, avec tout ce que cela suppose comme partage du gâteau entre copains.
Désormais avec un Parlement sans véritable contre-pouvoir politique, seules la mobilisation et la détermination du peuple à contrôler l’action publique permettront de venir à bout de ce fléau qui gangrène la société burkinabè.